Le Bulldozer de Cristal
 De la difficulté à la relation aux hommes
Quand on a grandit sans père ni repère
« Quand il faut apprendre à vivre sans un père…
« — Dis maman, pourquoi on ne va plus à la maison ?
— C’est ici notre maison, maintenant, pour toujours.
— Et Papa ? C’est sa maison aussi ?
— Non, ma jolie mirabelle. Ton père ne trouve plus maman assez belle.
»
Thalia Remmil – Le Bulldozer de Cristal
L’absence d’un père
On ne se rend pas compte des choses lorsqu’on est enfant, et je crois que les enfants sont des êtres capables de mettre en place une multitudes de stratégies de survie afin de continuer à aimer mère et père s’ils sont présents, et de combler le manque immense affectif s’ils sont absents.
La présence ne signifie pas forcément que l’amour soit donné, et que les besoins soient satisfaits, l’absence ne signifie pas non plus que l’amour soit inexistant.
Je ne sais pas ce qui est préférable d’ailleurs, mais je pense qu’il vaut mieux un parent aimant et absent, qu’un parent maltraitant et présent.
Pour ma part, j’ai manqué de la présence de ma mère et de mon père, ils travaillaient beaucoup, j’étais en nourrice dans une famille aimante, et donc même si j’ai ressenti le manque, je n’ai pas manqué d’affection jusqu’à mes 11 onze ans.
La présence d’un « repère » toxique
Après ça se gâte…Je retrouve la présence maternelle, celle de mon beau-père, et commence pour moi le chaos, j’en parle dans mon autobiographie Au Pays d’Elles, du trauma de l’enfance à la conquête de soi. Les secrets de famille et la loi du silence se révèlent un fardeau énorme que je vais porter toute ma vie. Tu connais un peu mon parcours et j’ai écrit de nombreux articles autour du traumatisme de l’inceste et de ses conséquences dans tous les domaines de la vie d’adulte.
Je n’avais pas envisagé mes « dysfonctionnements » sous l’angle de l’absence de mon père durant toutes ces années, incombant la presque entière responsabilité à ma mère et mon beau-père, mais je dois l’avouer, presque essentiellement à ma mère.
Pourtant, le responsable des faits est mon beau-père. Ma mère complice de ses agissements n’a pas été l’initiatrice, elle a consenti sans me protéger.
Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’une mère se rend complice et ne prend pas toute la mesure de la gravité de ce qu’elle laisse faire ?
Ce n’est pas le sujet de cet article, j’en écrirai un autre. Je pourrais écrire de nombreux articles sur le poids des traumatismes de l’enfance.
L’absence d’un père est le sujet de cet article, vu sous un angle personnel comme tous mes articles, car je n’aurais rien de plus à ajouter que tous les articles déjà écrits à ce sujet. Je pense que ce manque est en grande partie responsable de la dépendance affective que j’ai développée dans mes relations aux hommes, ainsi que des relations toxiques et des manipulations émotionnelles.
Papa, explique-moi l’amour
Je te partage un extrait de mon roman Le Bulldozer de Cristal, dans lequel Mélodie parle de son père :
Cet homme est là, devant moi, calme et conciliant. Le regard qu’il me porte est manifestement affectueux, je dirais même paternel. Je dois bien m’avouer qu’il m’a manqué, et que j’aimerais que ce moment ne s’arrête jamais. Mon esprit n’est qu’ambivalence et ce que je ressens ne ressemble à rien de ce que j’ai pu éprouver jusqu’à ce jour. J’ai envie de me laisser aller vers lui, vers ce futur qu’il me propose en toute simplicité. Lui pardonner ? Nous donner une seconde chance ? Risquer des moments de complicité et de tendresse ? De l’amour ?
Ma mère est là. Je ne suis pas ma mère. Je ne porte aucune responsabilité qui puisse me faire endosser une quelconque culpabilité si jamais je renouais un lien familial avec mon père, son ex-mari, son amour perdu, son chagrin. Pourtant, je me sens solidaire de la souffrance qu’elle a endurée. Mon père devine ma retenue. Dans la manière qu’il a de me dévisager, je pressens qu’il décode mes sentiments. C’est étrange mais ce moment me rapproche de lui. Des autres aussi. Une porte se déverrouille. Je m’octroie le droit de devenir la fille de mon père. Je m’imagine comme ma future demi-sœur, contre lui, bras dessus, bras dessous, un franc sourire au visage, le pas leste et le cœur léger.
Dans ma tête, les questions reviennent : « Dis Papa, c’est quoi l’amour ? »
J’aborde le thème du lien père-fille dans mes autres romans aussi, et dans Permission de naître j’aborde le lien père-enfant dans sa légitimité, à savoir qui est le père : le géniteur ou celui qui est présent dans la vie de l’enfant et lui donne tout l’amour dont il a besoin ?
« Dis Papa, c’est quoi l’amour ? »
L’amour d’une femme pour un homme s’apprend auprès de celui qui a la place du père dans son éducation, il peut s’agir du géniteur, le père, mais il peut s’agir d’un beau-père. J’ai eu les deux et je n’avais pas réalisé à quel point mon propre lien à ces deux hommes, père et repère, avait influé mes relations amoureuses. J’étais conscience de l’importance de l’absence de la mère dans l’enfance, cependant que j’étais dans le déni par rapport à mon père, mon vrai Papa, celui qui a mis la graine dans le ventre de Maman. Je n’étais pas consciente non plus de l’influence énorme qu’avait eu mon beau-père.
Pourtant, la relation amoureuse et le sentiment d’amour sont largement déterminés par la relation au premier homme de notre vie.
La façon d’envisager le couple et le désir trouve son origine dans ce lien d’amour, essentielle à la petite fille et du regard qu’elle porte à cet homme, celui qui va façonner son rapport aux autres hommes de sa vie.