Au Pays d'Elles

du trauma de l’enfance à la conquête de soi :Le poids de l’omerta familiale sur le crime sexuel de l’inceste

L’omerta sur l’inceste, le silence qui tue

« Le silence est toujours porteur d’un message que l’on veut transmettre du plus profond de soi. »  Thalia Remmil

 

 

Dans mon autobiographie, j’aborde de façon personnelle toutes les conséquences de l’inceste dans ma vie d’adolescente, de femme, de mère. Je voulais aborder dans cet article la question épineuse de l’omerta familiale qui pèse très lourd dans le long parcours de la victime d’inceste. Car toute la différence entre l’abus sexuel perpétré par un inconnu et une personne de la famille se situe en cet endroit : le lien d’amour. D’ailleurs, nombreuses sont les situations conflictuelles qui décuplent en force lorsque l’émotionnel et l’affectif s’en mèlent.

Eva Thomas est la première personne victime d’inceste à témoigner à visage découvert en 1986. Elle est née en 1942 dans l’Orne, et elle est une fervente défenseuse des droits des femmes ainsi que des enfants. Son témoignage à l’époque a été retentissant lorsqu’elle parle du viol de son père alrs qu’elle n’avait que quinze ans. Il est important de rappeler que le contexte des années 1970, alors que la libération sexuelle post-mai 68 monte en fléche, favorise nettement les abus sexuels sur les enfants. Il faut attendre les années 1980 pour que la société évolue vers un changement des mentalités. Eva Thomas est la femme qui incarne encore plus ce virage pour dénoncer les violences sexuelles sur les enfants, et sur l’inceste. Elle parle alors à visage découvert lors d’une émission des « Dossiers de l’écran » de cet inceste, elle a 44 ans et dit : « Le fait de ne pas avoir pu parler pendant longtemps était pour moi comme un bâillon. »

 

L’Inceste : un crime qui s’opère en huit clos

« Une vaste comédie que ce huit clos familial. Que dis-je ? Une vaste tragédie. » Thalia Remmil

Une clé qui ouvre une porte d’entrée, des pas dans le couloir, un cœur d’enfant qui se met à battre, un corps qui cherche désespérément à se protéger de l’assaut, la peur qui s’infiltre jour après jour, lentement. Mon beau-père passe devant la chambre ouverte de ma mère, elle sait. Moi, je sais qu’elle sait et qu’elle ne fera rien. Comme chaque fois où cela se déroule. Mon esprit se tord de cette douleur, mon corps se crispe d’angoisse. Des mains auxquelles je devrais faire confiance viennent pénétrer mon intimité.

Voilà ce crime qui s’opère dans un huit clos familial odieux. Parce que l’enfant aime ses parents et qu’il leur donne sa confiance absolue. Il s’en remet totalement à ceux qu’il chérit

Par-dessus tout et qui vont saccager à petit feu sa personnalité. C’est une prise de pouvoir odieuse sur une vulnérabilité, sur un petit cœur en attente d’amour.

 

L’Inceste : le terrible secret

« Il n’y a rien de plus verrouillé que les secrets de famille. » Erik Orsenna

Les secrets de famille sont un véritable poison qui peuvent perdurer sur plusieurs générations. Il existe deux ressorts pour les faire taire : l’interdit et la peur. Il y a de nombreux secrets de famille comme celui d’un enfant mort-né, celui d’un démêlé judiciaire, celui de l’inceste. Les secrets ne se lèvent pas à cause de la honte, l’innommable tabou. De plus, la peur que la révélation ne fasse d’énormes dégâts incite à se taire pour ne pas faire exploser le noyau familial. Remuer la merde, ça pue très fort. Il est compliqué de se délivrer du lourd fardeau d’un secret, à cause bien souvent des répercussions que cela peut occasionner sur les proches.

J’ai dans ma vie, révélé deux terribles secrets à mes enfants. J’en porte une énorme culpabilité, bien qu’il m’aurait été impossible de ne pas leur dire la vérité. J’ai lâché le fardeau de mon histoire de vie, mes enfants l’ont porté, le portent encore. Cela fait partie des dommages collatéraux de mes traumas d’inceste. J’en parle dans mon autobiographie.

 

L’inceste : un crime qui dérange

 

C’est dérangeant de se confronter à cette terrible vérité : un parent abuse de son enfant, un parent use de son autorité pour exercer des violences sexuelles sur son enfant, quelquefois avec la complicité de l’autre parent. C’est dérangeant alors on préfère détourner le regard. C’est dérangeant de se dire qu’une mère n’a pas protégé son enfant, que l’environnement familial et social n’a rien fait lorsqu’il savait, qu’un père ou un beau-père a abusé de son pouvoir machiavélique pour soumettre un jeune corps, un jeune cœur a de telles souffrances.

Ce qui encore plus terrible, c’est le manque de courage, la lâcheté de toute une société devant des faits innommables. Quand on sait que 83% des enfants qui ont osé parler n’ont pas été entendu, le chemin est encore long vers la sortie du silence des victimes.

 

L’inceste : Comment aider les victimes à parler ?

 

Là est tout le nœud du problème.

J’ai osé parler à ma mère. J’ai donné ma confiance à celle que j’aimais le plus au monde et elle a trahi cette confiance. Elle a demandé des explications à mon beau-père qui lui dit que ce n’était qu’une pulsion, rien de plus. Voilà. Il m’a volé en un instant ma vie, et ce n’était qu’une pulsion. Si ma mère n’entend pas ma souffrance, qui va l’entendre alors ?

Personne mise à part la victime ne peut comprendre ce qu’il se passe et pourquoi elle n’a pas parlé avant, si jamais elle parle un jour. Peu de personnes connaissent les mécanismes de l’emprise, de la manipulation mentale, de la dépendance affective. Les gens disent : oui mais pourquoi la victime n’est pas partie ? Pourquoi n’a-t-elle pas porté plainte avant ? Elle avait l’air heureuse pourtant…elle ne peut pas tout rejeter en bloc… comme si sa culpabilité n’était pas déjà assez présente, on lui en rajoute encore.

Les victimes ont besoin d’aide, elles sont en situation de détresse. Les victimes ont peur de leur bourreau mais ce dont elles sont terrifiées, c’est de se retrouver encore une nouvelle fois victimes car coupables. Coupables de ne pas être capables de se protéger elle-même ou même leurs enfants. Les batailles contre les prédateurs sont éprouvantes, et l’envie de baisser les bras reste présente à chaque instant.

Alors pour aider les victimes à parler, porter plainte, il faut les entourer, les rassurer, leur redonner confiance. C’est tout le système qui se met autour d’elle, les amis, la famille, les policiers, les avocats qui doivent former son cocon de protection afin qu’elle y puise sa propre force.

 

Thalia Remmil

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