Un parcours de femme résiliente, une guerrière silencieuse
« Parce qu’il n’est pas de vie digne sans l’octroi de sa liberté d’être, et que le combat pour cette dignité est d’apprendre à renaître de ses cendres ».
Thalia Remmil
Définition Wikipédia
La résilience est un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l’événement traumatique de manière à ne pas, ou plus, vivre dans le malheur et à se reconstruire d’une façon socialement acceptable.
Définition Cairn.info
« La faculté qu’a l’homme de se creuser un trou, de sécréter une coquille, de dresser autour de soi une fragile barrière de défense, même dans des circonstances apparemment désespérées, est un phénomène stupéfiant qui demanderait à être étudié de près. Il s’agit là d’un précieux travail d’adaptation, en partie passif et inconscient, en partie actif. »
Primo Levi, Si c’est un homme
Si c’est un homme est un témoignage autobiographique de Primo Levi sur sa survie dans le camp d’extermination nazi d’Auschwitz, où il est détenu de février 1944 à la libération du camp, le 27 janvier 1945.
Cette année 2022, j’ai le désir de partager des histoires de vies, des parcours que je nomme « Parcours de résilientes, ces guerrières silencieuses ».
Je choisis d’écrire sur les femmes, parce qu’on ne peut pas se battre sur tous les fronts, au risque de s’éparpiller, et que je souhaite donner ma voix contre les violences faites aux enfants et aux femmes. Je sais que les hommes peuvent aussi être des enfants victimes de traumas aux conséquences tout aussi difficiles et entendables, autant qu’ils peuvent être victimes de femmes toxiques, en commençant par leurs mères.
J’ai écrit mon récit de vie Au Pays d’Elles, du trauma de l’enfance à la conquête de soi pour témoigner de mon propre parcours de femme guerrière résiliente.
Pourquoi guerrière, ce mot à consonnance de guerre ?
Parce que les combats que nous menons en tant que femmes pour faire valoir notre droit à l’existence bien souvent malmenée dans un monde d’hommes, sont beaux, courageux, dignes, emplis d’une force de vie incroyable !
Et aujourd’hui, il s’agit bien d’une histoire de vie incroyable que je vais vous partager : celle de Patricia, une de ces âmes, fortes, belles et lumineuses, dont je suis fière et honorée de vous faire rencontrer au travers de mes mots et de mes émotions.
Elle s’appelle Patricia. Mais elle écrit : « Je m’appelle personne. » Rien que dans cette phrase est inscrit le récit d’un combat pour exister. Personne, ça ne signifie rien et tellement, l’abandon, le rejet, le vide, le manque, l’attente, l’abnégation de soi, l’absence à soi.
Le droit de naître : comment commence le combat pour la survie.
Elle commence à se battre avec une aiguille à tricoter pour avoir le droit de naître. Elle commence sa petite vie avec ce désir de sa mère de l’éjecter de son ventre, parce qu’elle ne veut pas de cet enfant. Elle est une présence non désirée, dans un cocon maternel qui déjà ne la protège pas, pire, souhaite sa non-existence. Cette maman doit faire face à ses propres souffrances, bien sûr qu’elle subit elle aussi un traumatisme qui nuit fortement à sa grossesse : elle vient de perdre un fils qui n’avait que deux ans, elle est meurtrie dans son corps, son cœur de maman. Elle souffre et la souffrance restreint la capacité d’amour, ce qui n’excuse pas les phrases assassines : « Rendez-moi mon fils, celle-ci, je n’en veux. » Non, ça n’excuse pas, et il n’y a pas de circonstances atténuantes à faire subir à un autre enfant, le chagrin que l’on porte en soi. C’est juste que la souffrance insupportable de la perte d’un enfant entraîne forcément des conséquences qui peuvent s’avérer destructrices, surtout si elles ne sont pas exprimées dans un cadre thérapeutique.
Cette maman n’a pas d’autre choix que de s’occuper de sa petite fille, avec le soutien et l’aide du papa, qui malheureusement est emporté par une leucémie foudroyante, un an plus tard. La vie quelquefois est injuste. Injuste et terrifiante. La vie est un combat pour les jeunes mères fracassées, et c’est un coup du sort tragique que de perdre un mari le soir de noël. La jeune mère doit partir vivre chez ses beaux-parents puis chez ses parents, pour enfin rencontrer un homme, monsieur R, le facteur, avec qui elle va vivre. Patricia et son nounours sont mis en internat. Une nouvelle rupture qui sonne comme un goût de mauvais souvenir, le remake d’un « je ne suis personne, rien qu’un bout de rien sans importance ».
Comment se forge la capacité de résilience
Puis la mère de Patricia quitte monsieur R et rencontre un autre homme. Un loup. Un de ces loups qui mangent les petites filles parce que leur chair est fraîche. C’est ainsi que les petites filles que nous étions, Patricia et moi-même, sommes devenues les proies de loups, qui nous ont enfermées dans des cages. Patricia, prisonnière d’un passé dont elle n’était pas responsable, le décès de son jeune frère, et moi prisonnière d’une philosophie totalement dingue de l’homme dont ma mère était folle amoureuse, bien que je pense aujourd’hui, qu’elle était sous emprise d’un pervers narcissique.
Je crois que c’est durant ces années d’enfance subies et manipulées que notre capacité de résilience se construit.
Pour nous deux, c’est bien plus de la violence psychologique que nous subissons, cette violence invisible, faite de phrases assassines, de mots qui tuent. Oui, les mots peuvent tuer. Mais il y a aussi les actes qui pour moi, commencent à onze ans. Patricia tente de mettre fin à ses jours à l’âge de neuf ans en voulant se noyer mais un ange la protège, cette fois-ci comme de nombreuses autres fois. Elle comme moi avons des anges puissants. Je dis toujours que les fées se sont penchées sur mon berceau, cela me rassure sans doute. Elles ont du aussi se pencher sur celui de Patricia. Elles nous offrent ce don magique de l’amour que nous portons dans notre cœur, cette force magique, the power of love.
La résilience face à l’abandon d’une mère
L’adolescence n’est pas rose. Les prisonnières sont en prison. Patricia est fiancée de force et subie les viols de celui-ci, avec l’approbation de sa mère.
Qui sont-elles ces mères qui non seulement ne protègent pas leurs filles, mais pire, se rendent complices des actes de maltraitance envers elles ? Qui sont-elles et qu’ont-elles subies pour devenir ces monstres dénués d’empathie, d’amour maternel, et de dignité humaine ?
Patricia ne se laisse pas faire, elle va tout raconter aux parents du jeune homme, mais ils la rejettent. Personne n’écoute « personne ». Que représente la parole d’une enfant ou d’une adolescente face aux adultes, qui détournent le regard ? Rien, c’est une chose dont on se relève très difficilement de ne pas être ni entendu ni protégé ni défendu. Cela, nous le portons comme une insécurité affective qui crée le vide affectif mais aussi la dépendance affective.
Quand la vie ne donne aucun répit
Patricia va dormir sous un pont. Le destin lui envoie une nouvelle expérience tragique. Elle est agressée, abusée de diverses façons plus humiliantes les unes que les autres, laissée en vie, poupée déchirée, brisée, anéantie. Emplie de honte, elle retourne au travail, puis ne pouvant gérer sa vie seule, elle retourne chez sa mère. Enfin, elle rencontre son futur mari. Un gentil mari…au début…qui devient un mari distant, et ne donne plus de tendresse, et des mots blessants…avec qui elle a trois enfants.
Son cœur qui encaisse de trop finit par exprimer par le corps ses cris de souffrance ; elle tombe malade et souffre de sciatique, lombalgie, dorsalgie, arthrose et fibromyalgie. Puis un jour, tout ce qui a été enfoui, resurgit y compris les viols. Elle ne supporte plus que son mari la touche, la vie lui pèse plus lourd de jour en jour, et le désir de s’endormir à jamais fait entendre son murmure. L’amour qu’elle porte à ses enfants est son seul argument de survie, sa force à elle. Cette force a été la mienne. Elle est celle de nombreuses femmes.
Pourtant, en juin 2018, Patricia avale des médicaments pour en finir. C’était sans compter son ange gardien.
Nous sommes des guerrières résilientes
Nous sommes le 19 janvier 2022. Patricia est comme moi, vivante, plus que jamais vivante, debout, guerrière, décidée à ne jamais baisser les bras. Nous nous sommes connues par le biais de l’écriture, nous nous suivons sur les réseaux sociaux. Je ne l’ai jamais rencontrée pour de vrai mais elle fait partie de ces belles âmes dont je suis honorée d’avoir fait la connaissance. Je la remercie d’avoir accepté que je partage un peu de son parcours de vie qui est un magnifique témoignage de résilience.
Thalia Remmil