Au Pays d'Elles

du trauma de l’enfance à la conquête de soi : L’inceste, ce mal sourd et muet

#metooinceste

 « Toute existence connaît son jour de traumatisme primal, qui divise cette vie en un avant et un après et dont le souvenir même furtif, suffit à figer dans une terreur irrationnelle, animale et inguérissable. »

Amélie Nothomb

 

Pourquoi je parle de l’inceste comme d’un mal sourd et muet ?

Parce qu’il est ce jour de traumatisme qui fige la victime dans une terreur animale et qu’elle pense très longtemps comme inguérissable.

Parce que la victime devient sourde à ce mal, à tant vouloir l’enterrer.

Parce que la victime reste muette à ce mal, car les mots ne trouvent aucune issue de secours. Les mots ne sont pas assez signifiants pour exprimer. Aussi, parce que pour que des mots puissent signifier quelque chose, ils doivent trouver une oreille attentive, compréhensive ; une oreille suffisamment avertie pour entendre avec empathie la souffrance inscrite à jamais.

L’inceste n’est pas un coup du sort. Boris Cyrulnik écrit : « Un coup du sort est une blessure qui s’inscrit dans notre histoire, ce n’est pas un destin. » L’inceste est une histoire de vie, et la victime porte tout du long de son existence cette blessure inexprimable. Ce n’est pas pour autant un destin, qui ne saurait être modifié.

J’ai tenté de trouver les mots dans mon autobiographie pour dire l’indicible. J’ai tenté de faire surgir de moi les émotions liées à ce trauma. Je ne sais pas si le pari est réussi. J’ai fait de mon mieux, comme j’ai fait toutes ces années pour me tenir debout.

Pour moi aussi, ce mal a été sourd et muet.

 

Dans cette autobiographie, j’aborde de façon personnelle mon chemin de vie et j’essaie d’apporter aux autres, et particulièrement aux femmes qui ont eu le même vécu que moi, quelques réponses ainsi que quelques solutions pour enfin accéder à la résilience. Le thème principal est bien evidement l’inceste puisque ma souffrance initiale vient de ce traumatisme. Mais ce trauma a emporté avec lui des vagues de souffrances collatérales.

C’est quoi l’inceste ? Si l’on s’en réfère à Wikipedia , l’inceste qualifie les relations sexuelles prohibées entre parents très proches, entre parents et enfants, entre enfants d’une fratrie, entre grand-parent et petit enfant, entre oncle ou tante et neveu ou nièce, voire entre cousins. 

Pour ma part, il s’agissait de mon beau-père. Celui donc qui avait par alliance avec ma mère, autorité sur moi. Celui qui avait pris la place de mon père, et qui était censé être mon re-père. Dans l’affaire Olivier Duhamel, Camille Kouchner accuse son beau-père d’avoir agressé sexuellement son frère jumeau. Cette affaire provoque un séisme important et la sortie du livre La Familia grande de Camille Kouchner est une détonation. Boum !

Depuis, nous assistons à un déferlement de mouvements, dont le hashtag #meetooinceste lancé en janvier 2021. J’espère que cela n’est qu’un début parce qu’il est grand temps de briser les silences sur ce qui constitue encore un tabou, une sorte d’interdit puant dont on ne peut parler tant l’odeur est insoutenable.

L’Inceste : une souffrance sourde

« La plus grande tragédie de la vie n’est pas la mort mais ce qui meurt en nous, pendant que nous vivons. »

Parce qu’il s’agit bien de quelque chose qui meurt en soi. Lorsque la victime subit cet acte d’une violence extrême, c’est un peu comme si elle vivait une altération d’elle-même, si intense qu’elle met en place des défenses pour survivre. Toutes les stratégies mises en œuvre vont aller vers un seul et unique objet : ne pas mourir totalement. Résister coûte que coûte à l’appel du sombre, du noir, des ténèbres. Difficile lorsque l’on devient l’ombre de soi-même. Difficile voire impossible d’écouter cette voix intérieure qui murmure que ce qui se passe est terrible, dramatique, anormale, mais que les autres voix, celles de beau-papa, papa, ou maman, soufflent que c’est de l’amour. Tout ce qui se déroule n’est que de l’amour bienveillant.

L’enfant, devient sourd à lui-même car bien entendu pour lui aussi, ce que font ces êtres suprêmes et qu’il aime, ne peuvent pas être autre chose que de l’amour. Il est important pour moi de souligner à quel point cette notion est perverse. Toute sa vie, l’enfant va chercher un modèle de cet amour perverti. Cet amour qui pourra le sauver de lui-même. Cette quête est sans fin. Cette quête n’est que souffrance infinie car elle s’inscrit dans le mensonge, alors que la vérité mettra beaucoup de temps, souvent des années, avant de faire crier STOP, je veux vivre. Je ne veux plus me laisser mourir.

 

L’Inceste : une souffrance muette

« Emmurer la souffrance, c’est prendre le risque qu’elle te dévore de l’intérieur. »

Lorsque la victime subit cet acte d’une violence extrême, c’est un peu comme si le son de sa bouche mourrait aussi. Bien sûr qu’il y aura d’autres sons, et de nombreuses fausses notes. La mélodie qui se joue est discordante, contradictoire bien souvent. Parce que la victime ne sait plus où elle habite, ni avec qui elle habite. A qui donc peut-elle donner sa confiance ? A Maman ? La mienne était complice. D’autres le sont aussi. Et tous ces gens qui savent, et ne font rien !! Pourquoi ?

C’est une question que je me suis posée souvent. Pourquoi personne ne bouge ? par lâcheté, par égoïsme, parce que ce ne sont pas leurs oignons… Pourtant, autour de moi, nombreux étaient ceux qui ne pouvaient pas faire autrement que voir. Mais tout avait l’air si « normal » à la maison, nous étions une famille aimante, ma mère si dévouée, travailleuse et courageuse ; mon beau-père si charismatique. 

Les parents incestueux sont des parents comme les autres, en apparence, bien sous tous rapports. Mais les enfants victimes ne sont plus jamais des enfants comme les autres. Ils sont brisés, anéantis par une chape de béton qui ne laisse place à aucune force de dire. Comment peut-on exprimer ça ? Et à qui ? La souffrance muette s’installe et elle tue à petit feu, elle grignote l’espoir, elle fragilise l’équilibre, elle rend la vie infernale.

Parce que c’est un enfer.

 

L’inceste : une longue reconstruction de soi

« Paysages de convulsions fortes, de traumatismes forcenés, comme d’un corps que la fièvre travaille pour l’amener à l’exacte santé. » Antonin Artaud

Je ne trouverai pas de meilleure définition.

J’ai mis de longues années à sortir de mon déni et à mettre des mots sur mon histoire. J’ai mis un temps infini à me convaincre que j’étais bien une survivante de l’inceste, et que, oui, j’ai bien vécu une histoire d’inceste familial. Plus qu’un inceste, une histoire bien loufoque et bien tordue. Que si j’en sors relativement « droite », et indemne, les dommages physiques et psychiques continuent quelquefois à me faire dire que le bout du tunnel, même s’il se rapproche, n’est pas encore atteint.

Je pense que l’on porte toute sa vie certains traumas. L’existence d’une personne qui a été abusée sexuellement, et à fortiori, dans un contexte incestuel, nécessite un long travail sur soi, des remises en question permanentes, des ajustements, des rééquilibrages, de tous les dysfonctionnements qui ont été engendrés à cause du dit trauma. Si la reconstruction est possible, elle reste une bataille quotidienne, le bonheur en attente, quelquefois accessible. Je ne crois pas au bonheur. Je crois aux moments de bonheur. Je crois en moi et en ma résilience autant que je crois qu’on peut trouver en soi la force de vaincre nos démons.

 

Thalia Remmil

 

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