Un livre doit être un danger.

Article Un livre doit être un danger

« On ne devrait lire, disait Kafka que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne à quoi bon lire… Un livre doit être la hâche qui brise la mer gelée en nous. »

Kafka

Certaines phrases que l’on parcourt dans un roman réveillent des fantômes ; ces mêmes fantômes qui nous pourchassent dans nos cauchemars lorsque la nuit nous enveloppe de son obscurité et que le sommeil ne nous laisse pas en paix. Morphée de ses pavots soporifiques ne donne pas toujours un sommeil de rêves ; les livres que nous lisons ne donnent pas toujours le seul plaisir de la lecture. L’écrivain a-t-il cette vocation à remuer les tripes, à réveiller des plaies mal fermées, à titiller de manière peu agréable nos cicatrices ?

L’auteur autant que le lecteur doit-il se mettre en danger lorsqu’il écrit ou qu’il lit ?

Comment au travers des mots qui s’enchainent souvent frénétiquement au bout de nos doigts, nous les auteurs, parvenons-nous à libérer les forces obscures emprisonnées dans des abysses dont bien souvent nous n’avons pas conscience ? Comment trouvons-nous le fil d’ariane qui pourrait nous aider à retrouver le chemin, si ce n’est de la sortie, au moins celui d’une issue possible à notre toute relative liberté ? Est-ce un choix que de combattre le Minotaure ? Est-ce un choix que de préférer l’enfermement dans le labyrinthe de nos peurs ? Doit-on attendre, cloîtré dans nos fantasmes – bien souvent des chimères qui ne font que repousser les évidences -, la hache qui finira par nous décapiter ?

Et si une phrase échappée de notre inconscient vient à poser ses mots sur notre page blanche, sans que nous lui ayons donné l’autorisation, quoi faire ? La balayer d’un revers de main ? Lui opposer notre déni ? Lui refaire une beauté ? La rhabiller d’un costume qui nous sied mieux, qui ne nous oblige pas à la confrontation ?

Et si cette même phrase vient à déranger le lecteur que nous sommes, comme çà au détour d’une rue sombre, dans les limbes d’un écrivain qui n’a sans doute pas évalué la portée de ses mots sur nos maux, quoi faire ? Se laisser aller à l’émotion, pleurer, rager, fulminer, redevenir le petit enfant effrayé de tant d’incompréhension ?

Parce qu’il faut bien se l’avouer : Tout ce qui dans l’adulte est de l’ordre de l’émotion trouve bien ses sources quelque part ? En tous cas, si ce n’est pas tout, au moins l’essentiel.

Autant de questions auxquelles chacun voudra bien répondre selon son propre parcours de vie, selon sa propre conception de la vie, selon sa propre sensibilité.

Pour ma part, et vu de ma fenêtre, derrière mes rideaux, quelquefois derrière mes volets clos : lorsque cela m’arrive – ça m’arrive souvent, l’hypersensibilité aidant (ou n’aidant pas) – d’être prise au piège de mes trop vifs ressentis, j’ouvre grands mes bras et j’attrape le moindre indice qui pourrait me mener à une meilleure compréhension de moi-même ; j’ouvre grand mon cœur et j’accepte de l’écouter.

Alors, oui ! L’art, quel qu’il soit, un tableau, une musique, une chanson, un film, une création manuelle, un livre, a une mission. Que ce soit pour son auteur comme pour son spectateur, observateur, lecteur, les créations artistiques ouvrent les portes entrouvertes, décapsulent des bouteilles prêtes à exploser, percent des mystères ensevelis, permettent à certains trésors d’étinceler de mille feux.

C’est ce que j’aime lorsque je crée (peu importe la création) : cette part d’âme que je dévoile aux yeux des autres.

C’est ce que j’aime dans l’art : cette part d’âme inhérente à son magicien.

Elle est là, la magie de la vie : Lorsque prisonnier de notre geôle, quelque chose de plus fort que nous, d’indicible, vient à nous pour nous montrer le chemin ; L’Amour plus fort que tout.

Thalia Remmil

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